La transformation digitale, la circularité, le coaching d'équipe et d'organisation
Comment accompagner la transformation digitale par le Coaching d'Equipe?

Un des soucis majeurs des organisations actuelles est de ne pas rater ce qui est communément appelé sa révolution digitale ou sa transformation numérique.  Peu ou prou, les entreprises s'activent voire s'agitent.  Les discours de nombreux experts sur le sujet sont accompagnés de déclarations stratégiques énoncées par des leaders qui se veulent visionnaires, par de symboliques ouvertures de comptes Facebook et Twitter, par des opérations de marketing plus ou moins virales, par des reconfiguration radicales de systèmes d'information interne et externe, pensez Big Data, et ceci à coup de millions, etc.  Bien entendu tout ça va dans le bon sens.  Ce n'est pas inutile.

A côté de cette activité, voire cette frénésie pour ne pas rater un tournant réellement stratégique, cela personne n'en doute, quelques voix s'expriment pour souligner que l'essentiel n'est pas là.  Pour réellement effectuer une transformation digitale, il ne suffit pas de simplement en acquérir des outils qui en somme, n'en sont que des indicateurs apparents voire des résultats.  La réelle transformation digitale consiste à réellement bouleverser le cadre de référence de l'organisation toute entière, afin d'en replacer le paradigme ou la culture dominante.

  • Le paradoxe apparait lorsque la direction générale et la hiérarchie cherchent à mettre en oeuvre une transformation culturelle qui par essence repose sur une base citoyenne qui de son côté se passera rapidement de hiérarchies et de directions centralisées. 

En effet la culture digitale est ainsi faite que les ambitions, projets et solutions émergent du local et du bas.  Elles sont aussi immédiatement mises en oeuvre à ce niveau.  Celles qui marchent sont diffusées transversalement. Rien ne descend du haut.  D'ailleurs au sein d'une culture digitale, il n'y a pas de haut.  Toutefois pour avancer, mettons de côté ce paradoxe bien réel dans la cacophonie digitale d'aujourd'hui. 

Lorsque certaines entreprises comprennent qu'il faut tout changer, un évidence énorme apparaît:  La fabrication, la vente, la distribution, la facturation, les ressources humaines, les finances, la formation, le recrutement, les promotions, les budgets, tous les processus, toutes les habitudes fonctionnelles et opérationnelles doivent être reconfigurées dans une perspective de transformation digitale, dans le sens culturel du terme.  Alors comment faire?  Par où commencer? 

En plus, il est clairement affirmé que devenir digital, ce n'est pas seulement une autre façon de faire mais aussi une autre façon d'être.  Mais en fin de compte, c'est quoi, une façon d'être, de penser, d'agir voire de respirer qui correspondrait à une culture digitale?  Difficile à répondre, et de toute façon, comment faire pour changer chacun et tout le monde?

  • Une façon de définir ce que doit être une transformation digitale est d'en envisager le résultat.  Une transformation digitale accomplie aura totalement changée l'entreprise au niveau cellulaire.  Cette métaphore fait directement allusion aux changements comportementaux qui doivent s'opérer à la fois au niveau de la vie quotidienne et au sein de chacune des équipes. 

Alors une réelle transformation digitale ne repose pas sur des actions occasionnelles comme les grands raouts périodiques et médiatiques qui occupent la scéne d'aujourd'hui.  Elle ne doit pas seulement être mensuelle ou hebsomadaire comme au sein de toutes les réunions régulières d'équipes et de réseaux transversaux.  Elle doit se décliner au sein de chaque rencontre, au sein de chaque instant, dans toute l'activité d'une organisation, et ceci en permanence.  C'est en cela que la révolution digitale est culturelle.

Une des ressources pour opérer une transformation digitale est facilement accessible aujourd'hui, portée par les nouvelles générations, c'est à dire par les plus jeunes souvent laissés pour compte sur le marché du travail.  Ces derniers arrivants sont tous tombés dans le digital dès leur naissance.  Les entreprises doivent apprendre à les attirer plutôt que les repousser, apprendre à les accueillir plutôt que les aliéner, et en apprendre toute la créativité et l'agilité plutôt que chercher à les faire encadrer par tous ses tenants de l'ordre, sinon de l'ordre établi.  Il faut tout de suite les laisser noyauter les entreprises au niveau le plus local.  Cela pourrait être un vaste chantier pour les directions de ressources humaines soucieuses de réellement préparer l'avenir.  Il faut agir vite, car le digital n'attend pas.

A un autre niveau, sur le sujet de la transformation digitale, l'article ci-dessous tente de répondre à une question clé sur la culture digitale au niveau cellulaire, c'est à dire au niveau de chacune des équipes.  Qu'est-ce qu'une culture d'équipe digitale et comment la mettre en oeuvre tout de suite?  Pour répondre à cette question de façon opérationnelle, nous proposons ci-dessous:

  • D'abord quelques perspectives historiques sur les différents types de cultures d'équipes et sur leurs manifestations observables et comportementales, surtout au sein de leurs réunions. 
L'objet de cette description est de donner à des managers et coachs un moyen très simple et opérationnel de diagnostiquer la culture active d'une équipe, et par extension de son organisation.  En effet, la culture active se voit tout de suite au sein des échanges et des réunions du système concerné.  
  • Ensuite une description de ce à quoi peut ressembler une équipe digitale dans son fonctionnement quotidien, et à fortiori en réunion. 
  • Enfin, des outils concrets pour accompagner l'évolution d'équipes et d'entreprises, de façon très opérationnelle et pratique, vers la mise en oeuvre d'une transformation comportementale vers cette nouvelle culture, dite digitale.

CONTEXTE HISTORIQUE

Dans le cadre du paradigme dominant qui envisage l'organisation comme un système cartésien voire mécanique, la plupart des modèles développés jusqu'à présent s'intéressent essentiellement aux dimensions physiques et structurelles des entreprises.  De la même façon que nous approchons toutes les créations humaines voire tous les systèmes vivants, nous nous attachons donc à aborder nos entreprises avec un point de vue matérialiste, voire mécaniste.

Pour comprendre l'organisation avec ce point de vue, nous en séparons les différents éléments, nous en disséquons les fonctions, nous en étudions les organes un par un.  Les mots de divisions et départements, frontières, silos, etc. sont un des reflets de cette approche segmentaire. Cette approche analytique mais souvent appauvrissante prime sur celle qui consisterait à étudier l’ensemble, sa cohérence presque biologique, ses rythmes, ses flux et reflux d'énergie, ses interfaces internes et externes, ses capacités à naître, à croître et à mourir, ses fonction reproductrices, etc.

Aujourd'hui, à l'ère de la transformation digitale, nous sommes convaincus de la nécessité de développer une approche biologique des organisations, presque analogue à celle que la médecine traditionnelle chinoise a du corps humain, centrée sur la cohérence globale de ses flux énergétiques.  Partant de cette hypothèse, la question fondamentale est alors : comment les systèmes organisationnels sont-ils plus adéquatement représentables d’abord sous forme de systèmes vivants voire énergétiques ?  Ce serait cette énergie qui crée et influence les entités physiques matérielles que nous observons, et non le contraire.

  • Autrement dit, comment le monde physique des entreprises tel que nous le connaissons est-il le résultat matériel ou la représentation physique d'une réalité énergétique sous-jacente, moins évidente, faite de mouvements, de flux, d'échanges, de concentrations, de fuites et de gaspillages énergétiques? 

Cette transformation culturelle de la façon dont nous envisageons nos organisations est fondamentale lorsque nous voulons envisager ce peut être une entreprise cohérente avec l'ère digitale.  En effet, pour faire face à l'époque de la révolution de l'information, il nous faut aller au delà de simplement en acquérir les outils.  Au delà des outils, il nous faut repenser notre façon de percevoir nos cultures de management.

Nous souhaitons proposer et développer ici ce qui pourrait être considéré comme une approche pragmatique de cette hypothèse, à partir en particulier d'un outil de diagnostic et de développement des organisations, le concept de circularité.   Ce terme de circularité doit être pris au sens de  la circulation d’énergie interne au système, à la façon dont l'information se déplace au sein d'un réseau. Nous pensons que la circularité telle que nous la définissons peut devenir un concept intéressant dans une nouvelle approche à la fois globale et pragmatique du fonctionnement des équipes et organisations.

La circularité est un outil systémique dans la mesure où ce concept peut aider le manager ou le coach à étudier de manière plus précise ce qui se passe entre des personnes ou des services, à se concentrer sur la nature et la qualité des interactions entre ces éléments, entre les acteurs, plutôt que sur la nature des acteurs eux-mêmes. En ce sens, la circularité permet une approche résolument systémique des ensembles humains, à travers l'étude et la modification de leurs interfaces, leurs échanges d'information, donc de leurs échanges énergétiques.  Il s'agit ici de la fondation même sur laquelle repose la révolution et de façon opérationnelle, la transformation digitale.

Ce changement de cadre de référence est particulièrement utile si nous voulons évoluer du modèle traditionnel, physique, linéaire, causal ou mécaniste des organisations, vers une compréhension des systèmes virtuels, fluctuants ou constamment émergents en accord avec les modèles issus de la révolution de l’information.  Le concept de circularité est utile pour développer notre compréhension, entre autre, des équipes-projets, des équipes-réseaux et des équipes distribuées, toutes précurseurs de l'entreprise de demain. 

Au delà de l’observation et de l’analyse, ce nouveau cadre de référence digital permet au coach un accompagnement des équipes de façon totalement différente, qui tient compte de la fluidité des interfaces au sein d’un système et avec lui.  Sans compter sur l'effet rétroactif d'un tel modèle énergétique sur notre perception du monde. 

En effet, en travaillant avec un modèle qui met l'accent sur les flux et les échanges d'énergie, nous ne faisons rien d'autre que modifier notre propre conception du monde et de nous-mêmes : Nous passons d'une approche matérielle et territoriale de l'organisation à une conception plus fluide et énergétique de la réalité professionnelle.

Ce changement de perception modifie en retour notre façon d'agir, voire de coacher ou de manager.  Le résultat principal d'une telle approche fondée sur les flux d'énergie réside dans une meilleure ouverture sur l'environnement, une plus grande réactivité, une proactivité et une créativité décuplée.  Cela permet d'adapter la culture de nos entreprise à la révolution digitale.

Le concept énergétique de circularité a une valeur hautement pragmatique; d'une part, il permet un diagnostique beaucoup plus fin de la réalité interactive des relations, une vison énergétique du fonctionnement des équipes et organisations; d'autre part il offre des outils d'intervention dont l'efficacité n'a d'égal que la simplicité.

Nous reviendrons plus loin, à titre d'exemples, sur les moyens les plus évidents que nous avons préconisés chez de nombreuses équipes clientes pour assurer la circularité digitale entre services, au cours des réunions, à tous les niveaux hiérarchiques.  Avant cela, nous souhaitons faire un petit détour théorique et étudier les différentes constellations énergétiques que nous avons rencontrées lors de coaching d’équipes et d'organisations, pour en arriver au concept de circularité.

DE LA POLARITÉ À LA CIRCULARITÉ

Le concept de circularité digitale peut, comme nous l’avons laissé entendre, servir d’instrument de diagnostic d’un seul échange relationnel comme du stade de développement de la culture d’une équipe.  Managers et coachs peuvent s’en servir pour mieux appréhender les flux de communication entre deux individus et, comme nous le verrons, pour accompagner l’évolution de l’ensemble d’une équipe ou d'une organisation de façon très simple et très efficace.

Nous avons acquis l’expérience du maniement de la circularité digitale tant au cours d’interventions au sein d’équipes à tous niveaux hiérarchiques que durant des séances de coaching et de « supervision de réunions » de comités de direction.

En réunion, l’abord le plus direct du coach consiste à observer avec soin qui parle, après qui, à qui, et pendant combien de temps. Cette observation permet de situer des processus répétitifs, ou des échanges dont la forme se reproduit quel que soit le sujet. En effet, un regard sur les échanges au sein d'équipes révèle que le sujet traité n'est souvent qu'un support qui permet de répéter inlassablement le même processus d'échange, donc de pouvoir légal, de persuasion informatif, ou relationnel. 

  • Attention: Les sujets traités en réunions ne sont que des excuses ou des prétextes qui ne servent qu'à inlassablement reproduire la même forme interactive, donc culturelle du système.

Dans un deuxième temps, le rôle du coach consiste à graduellement suggérer des petits changements interactifs susceptibles de délibérément modifier les processus de communication initialement observés, dans le sens d’une plus grande fluidité d’échanges interpersonnels plus nombreux et plus variés, d’une meilleure créativité communicationnelle.

Plus précisément, il s’agira, avant d’intervenir, de déterminer à quel type de « polarité » se rattache la communication au sein de l’équipe en question. Ces types de polarité révèlent, illustrent, confirment et renforcent les structures sous-jacentes de pouvoir territorial et les modes de production, de circulation, de conservation ou de gaspillage de « l’énergie » dans ces équipes et les organisations auxquelles elles appartiennent.

Les diverses figures de la « polarité », comme nous allons le voir, peuvent être considérées

  • soit comme des communications utiles à un moment donné dans une équipe,
  • soit comme des stades précurseurs de la circularité digitale dans un processus de développement de la maturité d’une équipe,
  • soit comme des entraves à la pleine efficacité d’une équipe soucieuse de s'adapter au monde moderne tel qu'il est, ou le devient grâce à la révolution digitale.

Nous avons étudié la polarité en relation avec les modèles des styles de management présenté par Blake et Mouton et revus par Hersey et Blanchard, et des profils d’équipes et des cultures d’entreprise que nous avons présenté ailleurs sur ce site comme dans un précédent ouvrage[1].  Le développement ci-dessous inclus quelques rappels.

  • POLARITE Institutionnelle Culture Institutionnelle Style DIRECTIF
  • II POLARITE Technocratique Culture Technologique Style INFORMATIF
  • III  POLARITE Relationnelle Culture Humaniste Style PARTICIPATIF
  • IV   CIRCULARITE Culture Réseau Style DELEGATIF


LA POLARITE INSTITUTIONNELLE

Ce premier type de polarité peut être qualifié de pré-industriel. Il peut être assimilé à un contexte féodal, rural ou provincial, royal, de droit divin, etc. où le leader est aussi propriétaire ou se comporte comme tel, en seul décisionnaire après Dieu.  Dans une entreprise d'un tel classicisme, ce premier type de polarité est caractérisé par une évidente focalisation de l'équipe sur le patron, celui-ci étant à l'origine de l'essentiel de la communication, c'est à dire des questions et des réponses.  En réunion, ceci se manifeste lorsque le leader adresse des discours formels et unilatéraux à ses employés ou son assistance, qui de son coté écoute avec respect.  Nous avons alors à faire à une relation monopolisatrice, à sens unique, que nous qualifions ici de culture féodale.

En réunions, ce type de polarité se caractérise par des exposés prolixes, souvent idéalistes ou normatifs, énoncés de façon docte par le patron et dirigés vers son public indifférencié :  tous les membres de l'équipe ou de l'organisation y sont traités comme une entité globale et solidaire au sein de laquelle l'individualité a tendance à disparaître au profit de l'ordre hiérarchique.

Le monologue du leader arrose son peuple de principes, d'instructions et de conseils en tout genre. Ce public finit souvent par s'abriter dans un mutisme apparemment réceptif à cette relation unilatérale et institutionnelle qui lui laisse si peu d'initiative.  Bien souvent, aussi, le public profite de cette situation qui lui offre si peu de responsabilités, et se laisse porter.  La passivité du système s'installe.

L’accent est mis sur le contenu, le sujet ou le thème traité quasi exclusivement par le leader.  En entreprise, il s'agit généralement d'une Grande Messe sur la qualité, sur les bons ou mauvais résultats, sur tel ou tel impératif conjoncturel ou historique, et quelquefois plus paradoxalement, sur l’importance d’une meilleure communication et d’un management plus participatif.  Les membres subalternes ont rarement l’occasion de s’exprimer, sauf pour approuver et acquiescer, le plus souvent collectivement par le biais d’applaudissements.  Il s’agit là de la réunion traditionnelle de parents d’élèves, menée par le directeur d’école, ou militaire, menée par le gradé le plus ancien.

Ce type de polarité est courant dans des entreprises traditionnelles, familiales, conservatrices, orientées sur l’homogénéité, la qualité d’un produit.  C’est ce que nous avons appelé par ailleurs les cultures Institutionnelles.  Le style de management est plutôt directif, l’entreprise restant dirigée par le fondateur, sa descendance, le propriétaire, le clan familial.

Dans un tel cadre, il n’est pas étonnant que ce type de relation soit générateur de dépendance et de passivité. Les membres de l’équipe interviennent rarement publiquement. Ils auront plutôt tendance à tenter de résoudre leurs problèmes individuellement, à l’écart du leader, ou bien seul à seul avec celui-ci, à huis clos, en sollicitant sa bienveillance, comme autrefois auprès du baron..

De telles organisations sont généralement stables, de type pré mécaniste ou féodale. Beaucoup d’efforts y sont dépensés pour entretenir un fort contrôle personnel par le patron. Les salariés respectueux au point de paraître soumis se fondent dans le décor, évitent avec art toute forme de confrontation d'idées ou relationnelles. Pour ces organisations, la capacité de réponse ou d’adaptation aux turbulences de l’environnement digital d'aujourd'hui est lente voire médiocre. Le réel travail en équipe et l'ouverture à l'environnement tel que nous l’entendons à l'ère de l'information n’y est guère qu’embryonnaire.

Ce type de polarité peut aussi persister de façon masquée, dans des entreprises dont les leaders sont pourtant désireux, le plus souvent en toute bonne foi, de favoriser l'initiative et la prise de responsabilité.  Ils n’ont pas eux-mêmes fait le deuil du modèle familial et sont parfois encore terrorisés à l’idée de lâcher leur pouvoir souvent bienveillant sinon paternaliste. 

La polarité institutionnelle est quelquefois aussi mise en œuvre par quelques anciens au cours d’une réunion plus fluide.  Forts du poids de leur histoire, ils prennent la parole pour raconter un passé glorieux, une anecdote pleine d ‘enseignement, les nombreuses bonnes raisons de se méfier d’une nouvelle idée déjà testée il y a bien longtemps.  Il en résulte une rupture de rythme, une cassure dans la fluidité des idées, un ralentissement de l’énergie, et souvent une agitation dans la salle.

Côté positif, ce type de show pratiqué en grand groupe une fois l’an comme un rituel de passage peut servir à développer un esprit collectif, un mouvement identitaire très fort et motivant.  Il s’agit là de conventions annuelles bien préparées, centrées sur quelques messages forts, une célébration, peut être la reconnaissance de réussites très performantes. 

Dans ce cadre exceptionnel qui n’a rien de la réunion de travail, la forme que revêt une bonne prestation institutionnelle peut créer et véhiculer une énergie bien plus forte que le contenu des messages.  Comme des critiques de théâtre, les observateurs seront en effet plus sensibles à l’ordre de passage des orateurs et à leur apparat, au temps qui leur est alloué, aux anecdotes croustillantes, au niveau d’énergie qui se dégage par le tempo qui se doit d'être enlevé, et à la qualité de la mise en scène, plutôt qu’aux sens littéral des messages.

LA POLARITE TECHNOCRATIQUE

La révolution industrielle a mis un terme à la féodalité.  Citadine, elle est beaucoup moins provinciale. Dominée à la fois par le capital et la technicité des d'ingénieurs, son maître mot est l'efficacité.  Sa stratégie principale pour atteindre cet objectif est le contrôle technique et financier à tous les échelons de l'organisation opérationnelle et humaine.  La personne devient soumise à la machine à la procédure, dur - dur.

Au sein de ce cadre de référence apparaît un deuxième type de polarité, propre au équipes de culture technologique.  Le leader en réunion ou pas communique tour à tour avec chaque membre de l’équipe individuellement. Lorsque dans un contexte collectif, il s’agit souvent d’une série de réunions à deux faites en public. 

En l’absence du leader, le processus a tendance à se reproduire avec tout autre expert prenant sa place centrale, du moins en matière de communication. Nous avons donc affaire à une relation en étoile, avec une seule personne jouant un rôle central.  C’est à cette personne que chaque interlocuteur s’adresse et c’est elle seule qui répond à tous les commentaires. Il est parfois admis implicitement que nul ne peut intervenir si le leader ou l’expert ne l’a pas préalablement interpellé.  Si le leader s'absente, le système se décompose.

A ce niveau de polarité, nous avons remarqué qu’entre le rôle central de l’expert, généralement le leader, et chacun des autres membres à tour de rôle, le contenu et le ton sont souvent argumentatifs. Ainsi la personne centrale présentera un argument auquel quelqu’un fera quelque objection ; l’expert argumentera en retour développant la même position qu’initialement, à laquelle une autre personne répondra, l’expert défendra de nouveau son point de vue avant qu’une troisième personne ne commente à son tour, et ainsi de suite.

Le résultat en terme d’énergie est que la personne centrale conforte sa position dominante dans une sorte de star-système. Le principe (erroné !) à la base d’un tel processus est que si quelqu’un est un expert dans quelque domaine, alors, dans ce domaine, comme pour défendre son territoire, c’est lui qui doit mener le jeu voire tout décider.

Ce type de polarité se développe particulièrement dans des équipes très compétitives ; dans des organisations agressives déterminées à préserver ou développer leurs parts de marché à partir de manœuvres offensives ou défensives de contrôle et de conquête. Dans ces systèmes, l’accent est mis sur la compétence ou l’expertise personnelle et sur une attention pointilleuse aux détails techniques et aux informations précisément chiffrées.  L'expert a toujours raison.  C'est bien souvent le chef qui ne délègue pas et qui doit en savoir plus que chacun de ses collaborateurs.  C'est un homme de dossiers.

En même temps, le caractère compétitif de l’équipe peut se retourner contre ses propres processus de travail et de communication, sous forme de joutes verbales où énormément de temps et d’énergie peut être dépensé à des jeux de pouvoir autour d’enjeux territoriaux. La moindre formule peut donner lieu à débat interminable sur le sens des mots, ce qui est appelé le jeu de « Dictionnaire ».

Il s’agit là d’une forme archétypique et généralisée de ce que Jacques-Antoine Malarewicz appelle un processus symétrique : « L’accord, dans la rivalité, ne se fait que sur la forme et non sur le contenu. Autrement dit les informations ne servent ici qu’à alimenter un conflit et non à négocier des arguments. Il s’agit donc de la forme d’interaction la plus pauvre et la plus stérile qui se puisse imaginer, car elle ne se joue que dans l’apparence et la subjectivité de cette apparence. »[2]

Dans ces conditions, il est difficile d’éviter l’escalade. Les situations peuvent alors prendre des allures du jeu d'un « Tribunal » sournois dès qu’il est question de définir la responsabilité d’erreurs ou de défaut.  Ces questions sont primordiales dans ses systèmes qui sont propices au développement de processus de boucs émissaires et à la disqualification des non-experts, par trop incompétents pour mériter une place dans l’équipe.

Au niveau du contenu, les réunions sont donc excessivement informatives, souvent organisées autour de projections successives de transparents par rétro-projection ou par PowerPoint, sur-détaillant des chiffres et des paragraphes sur les actions passées ou sur les challenges à venir.

La dimension positive de ce type de réunion concerne bien entendu le contenu des débats, l’analyse pointue qu’il peut permettre, l’instruction de dossiers en profondeur, la possibilité pour chacun des membres d’une équipe de se mettre à niveau dans divers domaines d’expertise qui quelquefois leur échappent.   Bien préparées avec des dossiers préalablement envoyés et lus, le temps d’échange d’informations dans ce type de réunion peut être considérablement réduit pour laisser un peu plus de place à de véritables débats.

Un atelier de deux jours centré sur l'acquisition d'outils pour développer la circularité en entreprise:
Pour évaluer vos compétences (savoir faire) dans chacun des profils culturels évoqués dans cet article:

LA POLARITE RELATIONNELLE

Sans mettre un terme à la culture technocratique, la révolution humaniste a proposé un cadre de référence différent qui peu à peu chevauché, quelquefois remplacé, un contexte industriel encore très présent.  Le développement de la psychologie, le socialisme et communisme, la société de service, les congés payés, le souci du client et du personnel, de la qualité de vie, du bonheur des uns et des autres, le développement des loisirs ... tous sont des indicateurs de cette deuxième révolution, dont la résultante est un autre cadre de référence dont les comportements collectifs en entreprise et en réunion sont spécifiques.  Les individualités s'estompent au profit des clans.  Le pouvoir des experts laisse la place au pouvoir d'influence et des réseaux relationnels.  La fidélité, l'engagement, l'implication, la participation, la motivation deviennent les maîtres mots.

En réunions, ce troisième type de polarité se développe souvent sur deux niveaux d’énergie différents. D’une part, une polarité interpersonnelle manifestée par un argument, un conflit ou une scène qui peut éclater entre deux membres de l’équipe en pleine réunion, c’est-à-dire sur scène, et d’autre part, le reste de l’équipe est collectivement mis en position de témoin passif de cette relation improductive. Ils sont pris en otage par les protagonistes en opposition.

  • D’une part, deux acteurs se renvoyant l’un l’autre des arguments plus ou moins aigres-doux ; d’autre part, la cohorte des observateurs ou du public, incluant souvent le leader, regardent la scène.

Ce troisième type de polarité apparaît comme un avatar, au sens propre de métamorphose, du second niveau de polarité; comme si le «star – système» focalisé sur un seul acteur expert s'était transformé en foire d'empoigne entre deux candidats au plébiscite, avides tous deux de l'attention exclusive et de l'approbation du groupe ou du patron. La situation se présente comme une mise en demeure à l'équipe et à son leader de choisir qui a raison. Comme ce choix est illusoire et ne peut être fait, les deux continuent leur combat de coqs pendant que l'équipe et son chef restent englués dans leur passivité.

En fait, sous le couvert d'un argument professionnel se cache la vraie question posée au leader, voire à l'équipe : Lequel de nous deux préférez-vous?  Le système est bloqué parce qu'il s'agit plutôt d'un problème de nature relationnelle, voire affective, que technique ou professionnelle.  Il s’agit plus d’un jeu d’influence centré sur les relations qu’un jeu d'experts  de type II centrés sur l’analyse.

Ce type de polarité, comme nous l'avons illustré dans les exemples cités plus haut, se développe souvent entre deux "barons", deux "anciens" dont les disputes apparentes pour attirer l'attention de leur public, cachent en fait une alliance stratégique qui bien qu'inconsciente, possède la plupart du temps des fondements objectifs qui ne trompent pas l'observateur sagace. 

Pour figer un peu plus la situation, ces anciens  tiennent quelquefois chacun la moitié de l’équipe par leur influence historique.  Ils arrivent ainsi à figer le groupe, divisé en deux clans, fidèles à l’image de leur conflit.

Parfois, cette polarité relationnelle n'est pas limitée à une seule paire de frères ennemis, mais les rôles tournent en fonction des circonstances et des sujets traités et l'on peut rapidement s'apercevoir que l'équipe est en fait entièrement structurée autour d'un réseau subtil et compliqué d'alliances et de conflits, d'inimitiés et de loyautés. Si ce type de polarité a lieu au sein d’un comité exécutif, il en est alors, encore une fois, souvent de même pour l'ensemble de l'organisation subalterne.

Là aussi, il s'agit d'un processus symétrique. Là aussi, il s'agit d'un processus générateur de passivité. Le duel entre les deux soi-disant antagonistes met l'équipe et son leader en position de voyeurs bien paralysés dans une situation paradoxale.  Ils auraient tord d’intervenir et ont tord de ne pas le faire.  Cette situation est propre aux équipes et aux systèmes où s'est développé un bon niveau d'interactions individuelles à travers une histoire commune, et avec une forte charge émotionnelle, nous avons déjà décrit ces équipes relationnelles apparemment très soudées, à culture Humaniste.  Et la aussi les sujets au coeur des débats ne sont que des excuses ou des prétextes pour alimenter les antagonismes mis en scène de façon répétitives.

En fait, la relation centrale entre les deux pôles de l'équipe a pour fonction de focaliser l'énergie de l'ensemble de l'équipe et de son chef.  L'objectif latent étant de déplacer cette énergie du contenu au processus, c'est-à-dire des tâches et défis professionnels au maintien de la relation affective entre les membres de l'équipe ou du clan, comme elle se définit; au détriment de l'efficacité de l'ensemble.

Cette polarité cache souvent une véritable alliance conservatrice entre les deux barons et avec le reste de l’équipe, tous implicitement d’accord pour que rien ne change.  La force de ces équipes affectives et relationnelles réside dans leur capacité de résistance.  Attaqué de l’extérieur, le clan se soude et se défend avec la force des relations ambigües qui les unissent. 

Pour un coach ou un consultant, il s’agit de faire attention, ce type d’équipe peut facilement trouver de bonnes raisons de s’entendre à ses dépends et contre lui s’il lui prend la mauvaise idée de bousculer trop rapidement l’équilibre relationnel des clans internes, bien ancrés dans l’histoire et dans les réseaux d’influences invisibles à l’œil nu.

LA CIRCULARITE

La notion de circularité ou de circulation d'énergie en absence d'une quelconque polarité est ici synonyme de digitalisation.  Il est utile d'assimiler cette notion d'énergie circulatoire à celle d'une vitesse quantique appliquée dans un univers fractal, au sein de systèmes en réseaux, c'est à dire décentralisés.

Idéalement en réunion, la circularité apparaît en l'absence d'une quelconque polarité, lorsque informations et discussions se déploient sans entraves, librement et rapidement vers et entre tous les membres d'un groupe ou d’une équipe.  En réunion, a chaque instant pris isolément, il pourrait apparaître que la circularité ressemble trait pour trait à la polarité de premier niveau : Une personne parle et tous les autres l'écoutent.

La différence immédiatement apparente est que cette personne parle peu, va droit au but, et que l'instant d'après c'est une autre personne qui prend la parole, puis une autre, sans qu'il soit possible de prévoir qui sera la suivante.  L'information ne semble pas destinée à une personne en particulier mais concerne l'ensemble de l'équipe simultanément et également.  La structure qui en résulte est, appliquée à un groupe restreint, celle d'un réseau où chaque élément du système est directement connecté à tous les autres sans qu’aucune ne paraisse centrale.

Fort heureusement toutes ces "connections" ne sont pas actives simultanément; chaque brève émission est suivie, ou interrompue, par une autre, puis une autre, et encore une autre... Le résultat en est un flux multidirectionnel d'énergie qui favorise l'inattendu, la réactivité, la créativité au cours d'un processus d'échange rapide, d'une très banale simplicité et d'un haut niveau énergétique.

Piège : Il est possible que les commentaires et arguments offerts dans la discussion circulatoire suivent un parcours sinueux au résultat négatif.  Chaque proposition d’un participant est suivi d’un "Oui, mais..." ou de "J'ai une autre idée..." ou d’une blague, ou d’un autre sujet, ou pire d’une proposition identique formulée par un participant absent une minute avant.  C’est ce que l’on nommera un chaos, image archaïque du réseau déstructuré. 

Le manque de méthodologie partagée, la perte de l’objectif, le niveau élevé des attentes de chacun, l’énergie débordante, le manque de maturité de l’équipe, les interactions compétitives voire antagonistes, tout cela provoque un résultat médiocre synonyme de confusion.  La réunion se terminera sur des sentiments de frustration voire de colère à la hauteur des espérances et de la motivation initiales.

Si les commentaires et arguments offerts dans une discussion circulatoire plus positive suivent un développement constructif dont le motif serait, sous diverses formes, du genre : "Oui, je suis d'accord, et nous pourrions...", dans un ordre fluide et respectueux, mis en œuvre de façon partagée, sans perdre de vue l’objectif, avec le souci d’élaborer une construction commune, alors il s’agit d’une équipe-réseau arrivée à une certaine maturité. Il s'agit là d'un bonne communication à l'image du digital arrivé à son apogée.

Dans ces discussions qui requièrent la participation totale et structurée de tous les membres dans un apparent désordre de bonne aloi, il n'est pas rare que la production d'idées prenne un tour imprévu. C'est souvent un bon indicateur de la forte créativité et de la responsabilité partagée de tous les membres face au sujet à traiter ou au problème à résoudre.

Alors que la communication dans la polarité de premier niveau était unilatérale et que les niveaux deux et trois avaient en commun leur caractère symétrique, la circularité positive relève de ce que Jacques-Antoine Malarewicz appelle des positions relationnelles complémentaires : « Deux personnes sont en positions complémentaires lorsqu'elles mettent en commun les moyens dont elles disposent pour parvenir au même résultat et répondre à une finalité commune. Cette position, en même temps qu'elle est la plus constructive est la plus difficile à tenir. (...) La complémentarité dans l'interaction suppose l'effacement de l'individu et la maturité qui apporte, dans le recul qu'elle suppose, l'assurance d'un bénéfice ultérieur pour les deux protagonistes. Elle s'accorde fort bien de désaccords qui restent cependant délimités dans les contextes qui les contiennent et les finalités parfois opposées qui définissent ces contextes. »[3]

Ainsi la circularité positive tend vers une espèce de consonance très musicale, une symphonie ou un « bœuf » , l'accord et, en dernière instance, le consensus élaboré de concert. Il ne s'agit plus de rechercher ce dernier en quelque sorte pour lui-même de façon plus affective qu'effective, mais de le construire positivement en complétant et en améliorant les apports réciproques plutôt qu'en les combattant, en les disqualifiant, en les annulant.

Dans un tel contexte, la formule pourtant si souvent employée du "Je ne suis pas d'accord!" devient non seulement obsolète, mais absurde.  Le problème de la confiance en l’autre a disparu pour être remplacé par la confiance en la relation.

Pour lire un article sur la micro compétence de développement de circularité

POUR LA CIRCULARITE DANS LES EQUIPES

Dans ce qui précède, où nous nous sommes penché sur le concept comme outil de diagnostic, nous avons clairement laissé paraître notre préférence pour la circularité (positive) comme mode de communication dans les équipes. Ceci appelle explication. Il y a manifestement un temps pour chaque type de polarité. La conférence traditionnelle et la convention annuelle est un bon exemple de polarité du premier niveau; la conférence - débat, du second. Chaque mode de communication a ses avantages plus ou moins évidents et ses limites.  Cependant, nous avons de bonnes raisons de nous faire les promoteurs de la circularité positive dans les réunions de travail en équipe. Nous sommes convaincus que la circulation de l'énergie telle que la favorise le modèle de la circularité est une manière pratique et simple d'accroître la créativité et la réactivité dans les organisations contemporaines.  De plus, elle est la fondation même de la culture digitale.

Dans la mesure où l'on admet qu'une des voies du succès se trouve dans une meilleure délégation, un partage réel des responsabilités, l'engagement personnel et la mise en commun de la résolution des problèmes, l'initiative et la créativité; alors, la communication en circularité au sein de réunions de travail est un atout majeur.

  • Piège : Il n’est pas utile pour un coach d’équipe d’opposer la circularité aux diverses formes de polarités; ce  serait là une expression de la polarité elle-même. La pratique de la circularité positive est un moyen pour une équipe de dépasser les faiblesses des modes de communication plus stériles, pour développer des réseaux plus souples, plus créatifs et plus efficaces.

Les modes d'intervention à la disposition du coach pour atteindre ce résultat sont extrêmement simples, concrets et comportementaux.  Une liste d’axes d’observation, de travail et d’intervention peut donner au coach d’équipe les bonnes raisons de poser les bonnes questions à la bonne personne au bon moment.  Ce que l’on appellera l’intervention stratégique.

Pour illustrer des comportements de coach à mêmes de pouvoir provoquer plus de circularité en face à face et en accompagnement d'équipe, nous vous proposons de consulter un article sur ce site.

LA CIRCULARITE POUR LE LEADER D'EQUIPE

Au cours d'une réunion, tous les types de polarité ou de circularité peuvent se manifester dans l’équipe: entre ses membres et avec le leader. Très certainement et subrepticement, le leader, suivant sa propre inclination, sera aspiré dans les processus de l'équipe;

  • Soit en tenant la tribune et dispensant la bonne parole à un auditoire bouche bée (« polarité institutionnelle »);
  • Soit en position centrale, en tant qu'expert, ou "sujet supposé savoir", mis en valeur pour et par ses interventions brillantes auprès de tel ou tel participant, ou bien controversé par l'un ou l'autre, mais ayant souvent le dernier mot ("polarité technocratique");
  • Soit encore, pris au piège des joutes verbales d’un ou d'une paire de partenaires conservateurs et privilégiés ("polarité relationnelle").
  • Dans d’autres cas enfin, le leader sera embourbé dans un processus circulatoire et malheureusement chaotique.

Au sein de cultures d'équipe plus mûres, plus rarement selon notre expérience, une forme spontanée de circularité positive s'installera rapidement et chacun apprendra et se développera en même temps que tous les autres, leader compris.  Souvent le leader  se laisse prendre à l'un des deux ou trois types de polarité ou à une circularité chaotique qui correspond à ses propres modes privilégiés de communication. Le problème est que cela renforce d'autant les processus en cours dans l'équipe.  Ceci alors qu’il serait évidemment plus fructueux d'aider le leader et l'équipe à étendre ses compétences communicationnelles dans le sens de la circularité constructive.

  • Piège : Le danger immédiat pour le coach est de « trop » mettre sur la sellette soit le leader, soit l’équipe, lors d’un travail sur la prise de conscience des processus de réunion stériles.  Dans un tel cas, il ne manquera pas de disqualifier l’un ou l’autre, ce qui aspire le coach vers une position trop partiale dans les « jeux » négatifs du système .

Il lui sera donc utile d’équilibrer les perceptions et le travail en impliquant les uns et des autres dans leur responsabilité quant à l’existence de polarités et de chaos, et surtout dans leur responsabilité d’actions à mettre en œuvre pour développer une plus grande circularité constructive.

Un des rôles essentiels du leader est précisément d'incarner des modèles différents de communication, qui permettent ultimement d'installer plus de circularité positive au sein de son équipe.  L'objectif est alors, quelque soit le contenu, de faire pratiquer concrètement la circularité au groupe, le plus souvent possible.

Mais il est bien entendu que cette pratique de manager est impossible à mettre en œuvre dans une équipe qui résiste.  La pratique de polarités et de chaos stérile dans un système permet à une équipe de travailler dans un confort relatif, avec bien moins de responsabilités individuelles et collectives.

Pour accompagner un leader et son équipe vers un objectif éventuel de développement de la circularité constructive et de ses bénéfices très concrets, le coach d’équipe doit donc aussi avoir une stratégie de développement dans la circularité, c’est à dire en impliquant tous les membres de l’équipe de façon circulatoire et paritaire.

Exemples : Pour cela, il y a plusieurs tactiques possibles.

  • En accord avec ce que nous avons développé plus haut, il est évident que le leader peut être invité à éviter une position centrale, face au groupe, devant le padex ou maniant le rétro-projecteur.[4]
  • Il peut être accompagné dans l’expérimentation de positions de leadership au sein du groupe.  Cela consiste à participer à la fluidité du travail en équipe de l'intérieur, comme le ferait n'importe lequel de ses autres membres.
  • Il peut être coaché dans sa façon de diriger ceux qui, temporairement et tour à tour, animeront le groupe à sa place.

Ces tactiques sont particulièrement importantes au sein d'équipes rebelles ou avec des participants contradicteurs.

  • Piège : Lorsque le leader se place au sein de son équipe, les places à ses côtés sont à surveiller.  Les possibilités de coalitions avec le leader par le biais d’apartés, et autres comportements de coalition et d’exclusion peuvent révéler les stratégies personnelles de certains membres d’équipe en mal d’attentions particulières.

L’équipe comme le leader peuvent donc être coachés pour apprendre à appliquer les préceptes énoncés plus haut et en particulier éviter de conserver trop longtemps la parole pour développer ses opinions, arguments et modèles. L'objectif est la participation de tous; ni la mise en valeur du leader, ni un duel entre "ténors" et "au finish" qui ne profite en fin de compte à personne.

Pour changer le cours de la discussion, la recadrer et lui faire prendre un tour neuf, le leader, comme n’importe quel autre participant, peut apprendre à encourager les membres silencieux à s'exprimer, à chaque fois, en particulier, que les anciens ou les "barons" occuperont trop longtemps le devant de la scène.

Ces stratégies de modélisation de comportements nouveaux peuvent être tenues de façon consistante tout au long des diverses réunions à la fois par le leader et par les membres influents. Elles vont de paire avec la délégation de la gestion des processus d'équipe aux membres eux-mêmes durant toute l'intervention. La finalité en est d'amener l'équipe à percevoir le leader comme un autre membre du groupe, qui apporte occasionnellement son point de vue personnel ou sa décision, de manière précise, opportune et stratégique.

Le recul du leader, la fluidité de son positionnement et les processus de circularité qu'il participe à installer avec l'équipe aideront l’ensemble à modifier progressivement ses processus de communication, vers plus d'efficacité.  Cela permettra au leader d’être plus disponible pour son rôle fondamental qui est surtout de prendre du recul pour prendre les décisions stratégiques qui s’imposent.

En modifiant les processus de communication à travers les interactions entre les membres, l'objectif poursuivi est d'améliorer la circulation d'énergie et la responsabilité de chacun. C'est cette énergie qui est génératrice d'action, de transformation, de résultats. Ce processus a pour but d'améliorer l'engagement personnel de chaque membre de l'équipe et d'accroître la maturité de l'ensemble, synonyme d'efficacité systémique. L'idée est de donner accès à des comportements caractéristiques des systèmes résiliants et la transformation digitale.

Suivant notre expérience, ce processus graduel d'apprentissage développe simultanément au sein de l'équipe la co-responsabilité, la créativité, le sens de la délégation, la réactivité, la motivation et le plaisir. Toutes qualités qui influencent directement et positivement les résultats "matériels" dans des proportions souvent étonnantes.

QUELQUES AGENTS DE LA CIRCULARITE

Les réunions stratégiques d’une équipe, disons à périodicité mensuelle, peuvent avoir lieu successivement dans différents endroits : suivant les cas, différentes unités, différents départements, différents bâtiments ou simplement différentes salles.

  • Exemple : Dans des équipes de direction d’organisations « dispersées », nous suggérons systématiquement que chaque directeur accueille successivement le comité de direction dans son pays, sa région, son unité, son établissement, son département. Ceci a comme résultat immédiatement sensible d'améliorer l'échange, la prise de conscience, la co-responsabilité des membres de l'équipe, en même temps que la "présence" de l’équipe dirigeante au coeur de l'entreprise.

Symboliquement, le simple fait de la présence physique de l'équipe de direction et de sa circulation dans toute l'organisation peut avoir un puissant effet mobilisateur en ouvrant les canaux de communication et en développant une image de mobilité et de disponibilité.

  • Exemple : Pour renforcer encore les échanges entre les sous-systèmes, nous avons également suggéré que la présence sur le lieu d'accueil soit l'occasion d'une attention particulière : une visite de l'établissement, une vérification ou une évaluation des performances de l'unité locale, un contact avec tous les échelons de l'organisation, de type "agora", "town-hall meetings"[5] ou opérations "portes ouvertes", le lancement d'un nouveau produit ou d'un projet, une célébration... L'objectif est que la présence des leaders développe au niveau local un sentiment d'identité, d'appartenance, une plus grande motivation et de meilleurs résultats.

Par ailleurs, nous invitons les participants à toute réunion régulière, quelle qu'en soit la fréquence, mensuelle ou hebdomadaire, à changer de rôle de façon tournante. Par "rôles", nous entendons l'accomplissement des fonctions que nous avons défini et développé dans "Décider En Équipe"[6] et dont une version actualisée est présentée dans le chapitre suivant : le facilitateur, qui veille à la bonne marche du processus, le "cadenceur" qui assure la gestion du temps, le "pousse décision" qui provoque et enregistre les décisions et le "coach" qui propose à chacun des axes de développement précis.  Nous y ajoutons le rôle « d'hôte d'accueil » qui assure en quelque sorte le "génie civil" et l'organisation globale des événements développés autour et à l'occasion de la réunion.

A chaque réunion, chacun de ces rôles doit être tenu par une personne différente, à l'exclusion, bien sûr du décisionnaire qui reste totalement disponible pour l'importante et permanente responsabilité qui lui incombe : trancher. De cette manière, les interfaces entre les différents acteurs sont modifiées à chaque réunion. La routine est tuée dans l'oeuf, les habitudes sont brisées avant d'avoir pu apparaître, le rituel est bouleversé et chacun est constamment tenu en éveil.

Lors de coaching d’équipes, nous avons été à l'origine de la mise en place d'un tel processus dans un grand nombre d'équipe à tous les niveaux hiérarchiques, du comité exécutif de grandes entreprises à l'encadrement d'ateliers ou de services. Avec le recul du temps, nous avons constaté que la plupart des équipes amélioraient ainsi considérablement leur créativité, leur co-responsabilité et leur efficacité dans la résolution de problèmes.  Ils développaient une conscience plus aiguë de leur réalité organisationnelle.

Un des effets les plus remarquables a souvent été de redistribuer l'énergie traditionnellement centrée sur le "patron" dans les relations latérales entre les autres membres de l'équipe. Lorsqu'un tel changement intervient au niveau de l'équipe dirigeante, il a généralement un effet considérable sur l'ensemble de l'organisation subalterne.

  • Exemple : Une autre suggestion à même de faciliter le développement de la circularité consiste à jouer avec les éléments physiques du lieu de réunion lorsque pour des raisons spécifiques à l'organisation, celui-ci est trop fixe; sur sa topologie, son ameublement, sa disposition.

Il est frappant de constater que dans un trop grand nombre d'entreprises, le comité de direction suit un rituel quasi liturgique, les mêmes personnes s'asseyent à chaque fois aux mêmes places, dans une pièce immuablement préparée de la même façon et y exécutent immanquablement les mêmes gestes, y tiennent les mêmes rôles intervenant chacun à sa manière habituelle et s'adressant dans le même ordre au(x) même(s) interlocuteur(s).

On retrouve bien là la rigidité de la tradition mécaniste. Dans un tel contexte, quel que soit le contenu spécifique de l'ordre du jour, lui-même souvent étonnamment identique d'une séance à l'autre, tout semble absolument prévisible et chacun se demande en toute ingénuité pourquoi il est si difficile d'introduire dans le système le changement d'organisation le plus mineur.

  • Exemples : Pratiquer la circularité dans de telles conditions, c'est introduire du mouvement. À chaque réunion la disposition peut être modifiée : avec ou sans table, en cercle, en "U", en amphithéâtre tous centrés sur un même point focal, voire encore plus aventureux dans  plusieurs salles, en sous-groupes de nombre et de tailles variables dans des dispositions là aussi diverses, autour d'une tables rondes, seul un paper-board ou... rien.

Dés que l'on prête une attention soutenue à ce genre de "détails", on est vite fasciné par l'extraordinaire pouvoir libérateur d'énergie et de créativité de telle ou telle disposition répondant à telle ou telle situation spécifique. L'amphithéâtre par exemple facilite la focalisation de l'attention sur un seul point; s'il est propice à la transmission d'information d'un à tous, il est manifestement inadéquat lorsqu'il est question d'échanger des points de vue créatifs entre les participants. Il sépare et rend passif.

La table concentre l'attention sur les notes, pas sur la participation. Le grand groupe centralise, les sous-groupes pluralisent, différencient, multiplient. Qu'il soit question de réfléchir ensemble, d'informer ou de s'informer, de discuter, de résoudre un problème ou un autre, il y a toujours une ou plusieurs dispositions plus favorables et d'autres moins efficaces. En fait, chaque point de l'ordre du jour peut (et devrait) donner lieu à une forme d'organisation différente de la salle.

  • Piège : Ici aussi, il convient de veiller à ce que les mêmes personnes ne se retrouvent pas systématiquement côte à côte, créant ainsi subrepticement clans et coalitions, ou face à face, créant des axes d'alliance ou de contradiction.

Il est enfin particulièrement important pour le leader d'être présent symboliquement partout et donc de circuler de moments en moments, de réunions en réunions. En un mot, le coach d’équipe peut participer à assurer le mouvement, à brasser les échanges, à « touiller » la fluidité;

Ce qui est vrai pour la disposition topographique l'est tout autant pour la structuration du temps. Rigueur n'est pas rigidité. S'il est essentiel que le calendrier des réunions soit précisément fixé longtemps à l'avance, cela n'implique nullement qu'il se reproduise à l'identique, que les réunions aient toujours lieu le même jour, suivant le même horaire, avec la même organisation du temps de "l'ordre du jour". Si l'ordre du jour est l'ordre de tous les jours, il y a tout lieu de penser, là encore, que la routine s'est emparée de l'organisation.

  • Exemple : en fonction des besoins et des circonstances, les réunions peuvent et doivent être structurées différemment. Elle peuvent commencer ou finir avec une activité "conviviale", déjeuner, dîner, sortie; leur durée peut changer; la place, la durée, la nature des pauses mérite attention et créativité, tout comme le temps accordé à chaque activité. L'objectif, là encore n'est pas d'introduire la variété pour la variété, mais de favoriser la circulation d’énergie, la créativité pratique ou l’imprévu utile.

La mise en place de ces formes très simples de circularité dans le cadre des réunions fait des merveilles lorsqu'il est question de modifier graduellement et sans effort la culture d'une organisation. Elle ouvre à toute équipe prête à tenter l'expérience les portes de l'adaptabilité et du changement. Elle a non seulement un effet sur le système global, mais encore sur chacun de ses membres individuellement qu'elle participe à rendre plus "présent", plus incarné, et plus en contact avec ses pairs, les autres départements et services, les autres divisions, les autres acteurs de l'organisation.

D'une manière générale et indirecte, l'un des principaux intérêts à développer la circularité dans une équipe est que celle-ci favorise le passage d'une attention individuelle et collective, de stratégies et de modes de fonctionnement centrés sur la séparation et la territorialité, à des échanges plus généralisés, à des dispositifs générateurs de créativité et à une meilleure conscience des phénomènes énergétiques et de leurs conséquences sur les résultats de l'entreprise.

Nous sommes profondément convaincus que ce sont des éléments des plus fondamentaux pour assurer le succès et la croissance d’une équipe de direction et de son entreprise dans un environnement en constante évolution.


[1]              CARDON Alain  Profils D’équipes Et Cultures D’Entreprises, Paris, Ed. D'Organisation, 1992.
[2]
              MALAREWICZ J.-A., "Guide Du Voyageur Perdu Dans Le Dédale Des Relations Humaines" E.S.F. Éditeur, Paris 1992, p.75 - 76.
[3]
              MALAREWICZ J.-A., Op. cit., p.76.
[4]
Il s’agit d’une première introduction aux principes « d’animation déléguée » de réunions présentés en détail dans le chapitre suivant.
[5]
              La traduction littérale serait "réunions publiques à la mairie"; il s'agit de réunions plénières où l'ensemble du personnel a l'occasion de rencontrer ses dirigeants et de poser des questions sur tel ou tel sujet.
[6]
              CARDON, Alain,  "Décider En Equipe",  Paris, Ed. D'Organisation, 1993.

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