Deux jeux triangulaires
Stratégies Individuelles et Collectives de Manipulation et de Réussite

Téléchargez au format PDF

Malgré l’apparente simplicité du concept de jeu de manipulation, malgré l’accessibilité de ses quelques formules explicatives, une grande majorité des jeux peuvent à la fois cacher et révéler une complexité personnelle et relationnelle beaucoup plus profonde.  Les variantes de chaque jeu sont innombrables.  Les motivations profondes des acteurs sont souvent difficiles à cerner avec précision d’autant plus qu’elles peuvent être multiples et contradictoires.  Lorsqu’elles se déroulent entre deux protagonistes ou partenaires, les séquences précises d’un jeu, voire d’un type de jeu ne sont jamais vraiment prévisibles.  Ce n’est que quand le coup de théâtre apparaît et que le bénéfice négatif final est encaissé que l’on peut affirmer avec assurance que tel ou tel jeu ou variante de jeu a eu lieu.

Par ailleurs, le nombre d’acteurs au sein d’un jeu est souvent aléatoire et dépend largement des capacités d’observation et d’analyse des protagonistes et de leur entourage.  Bon nombre de jeux, par exemple, mettent en scène deux acteurs au sein d’une relation foncièrement binaire ou bipolaire.  Cela ne tient absolument pas compte de l’effet d’une audience ou d’un manque d’audience.  En effet, dans certains cas, un jeu ne peut avoir lieu que grâce à la présence d’un témoin, et dans d’autres situations il n’a pas lieu justement à cause de cette présence considérée gênante. 

Par ailleurs, si le témoin d’un jeu mis en œuvre par d’autres devient actif, il peut changer l’aboutissement du jeu ou encore en changer la nature pour quelquefois participer à en mettre en œuvre un autre totalement différent.  Ces variantes soulignent le rôle capital que peut jouer un acteur anodin au sein d’une situation de manipulation, soit parce qu’il en est le simple témoin, soit parce qu’il y prend part, soit encore parce qu’il est en est absent. 

Si à l’origine, le concept de jeu en Analyse Transactionnelle est très simple et précis, à l’observation, les caractéristiques de chaque jeu révèlent que la réalité est bien plus aléatoire et systémique.  Bien entendu, le regard systémique sur la complexité des constellations qui influencent nos comportements n’était pas popularisé dans le monde de la communication à l’époque d’Eric Berne.  Dans les années soixante du siècle dernier, il était beaucoup plus aisé de classer les jeux par le nombre d’acteurs apparemment pertinents et par une relative simplification de leurs transactions apparentes et cachées.  

Au sein de ce cadre de référence historique, une grande majorité des jeux décrits par Eric Berne ne concernent que le face à face entre deux acteurs, ou entre deux rôles principaux.  Même si un peu plus tard, Stephen Karpmann introduit trois rôles dans les dynamiques de manipulation avec son triangle dramatique, voire quatre si l’on inclus le rôle du témoin ou du public, la notion de jeu décrit généralement des processus relationnels foncièrement bipolaires, ayant lieu entre deux entités ou personnes.

Il y a toutefois quelques exceptions à cette généralisation.  Pour illustrer, il s’agit ici de deux jeux de manipulation courants, connus sous les noms de Battez-vous et de Tribunal.  Ces deux jeux présentent une architecture particulière.  Par ailleurs, ils semblent souvent se manifester au sein des mêmes environnements.  Cela peut nous amener à conclure qu’ils sont souvent mis en œuvre par les mêmes personnes au sein de situations relationnelles complémentaires.  Ci dessous, ces deux jeux serviront à la fois comme exemples et véhicules pratiques pour explorer quelques éléments concernant les liens intimes entre

  • les stratégies de gagnants
  • les jeux de perdants

en proposant des exemples pratiques à la fois individuels, pour des groupes et au sein d’organisations.  

Le propos de ce texte est surtout d’élucider comment le concept de jeu décrit un processus qui peut être décliné de façon équivalente à la fois dans sa dimension négative communément acceptée et dans une dimension complémentaire résolument positive et constructive.  Si nous abordons ci-dessous ces deux exemples de jeu, c’est aussi afin d’approfondir cette dimension positive foncièrement omniprésente dans la dynamique de jeu de manipulation.

Une Illustration Pratique

La stratégie de Battez-Vous est implicitement connue par le grand public à travers le rôle du semeur de zizanie.  Typiquement, ce joueur central dans la dynamique du jeu œuvre à créer ou révéler des différences voire des zones potentielles de conflit entre deux autres acteurs jusqu’à provoquer une escalade négative dans leur relation jusqu’à à les pousser à  consommer une rupture. 

Le but ultime de ce semeur de trouble est de créer les conditions de conflit voire de rupture au sein d’une relation entre deux autres personnes ou entités.  Par conséquent, l’architecture de ce jeu implique automatiquement un minimum de trois acteurs.

Pour aborder un exemple familial, imaginez la situation suivante entre un fils et chacun de ses parents approchés séparément :
_« Maman, je peux aller au cinéma ce soir ? »
_« Pas si tu n’as pas terminé tes devoirs et rangé ta chambre. »
(…)
_« Papa, si je lave ta voiture demain, je peux aller au ciné ce soir ? »
_ « Ca marche ! »
(…)
_ « Maman, papa m’a dit que je pouvais y aller ».

Bénéfice immédiat: Papa et maman se battent, et le fils va au cinéma.
Bénéfice négatif ultérieur: L’ambiance familiale se détériore.

En suivant un processus très similaire dans un contexte organisationnel, imaginez un client qui déclare à son distributeur local: « Vous me citez ce prix aujourd’hui, mais votre département de vente m’a proposé un prix bien plus raisonnable pas plus tard qu’hier.  Il faudrait quand même que vous commenciez à accorder vos violons. » 

L’architecture relationnelle des deux situations est rigoureusement la même.  Les deux exemples ci-dessus pourraient toutefois induire que Battez-vous n’est initié que par des subordonnés ou des enfants afin de manipuler leurs responsables supérieurs ou parents.  Cette interprétation est vite balayée lorsque l’on observe la variante de Battez-vous initiée par des hiérarchiques.  Cette variante consiste à diviser pour régner.  Dans ce cas,  le jeu de Battez-vous est mis en oeuvre par le pouvoir établi pour s’assurer que les héritiers et autres prétendants à sa position soient trop occupés à se battre entre eux pour envisager de prendre sa place avant l’heure.

Parmi les autres jeux, « Battez-vous » présente deux caractéristiques inhabituelles.  Remarquez qu’il se joue à trois dans la mesure où l’initiateur exploite à son avantage une faille de communication dans la relation entre deux autres acteurs paritaires, le père et la mère dans la situation familiale, le distributeur et le vendeur dans le cas professionnel, les héritiers lorsque l’on divise pour régner. 

Typiquement, chacune des interactions au sein du jeu de Battez-vous se passe en l’absence de la tierce personne, laissant suffisamment de place pour interpréter les propos voire les motivations de cet absent.  Par cette architecture relationnelle, il laisse présager un peu plus de complexité que celle que peut laisser apparaître des relations binaires, entre deux personnes ou entités en prise directe.

Le bénéfice immédiat et apparemment positif pour l’initiateur du jeu est évident comme il est relativement prévisible.  Il tire ses marrons du feu et obtient un avantage mesurable à court terme.  Il est cependant tout à fait aisé de prévoir qu’à plus long terme, le jeu met en scène les ingrédients d’une évolution négative des relations entre tous les participants à ce triangle infernal.

Ce jeu relativement connu présente toutes les caractéristiques de la théorie des jeux d’Analyse Transactionnelle.  Soulignons surtout qu’il est généralement mis en œuvre de façon inconsciente par tous les protagonistes y compris par l’initiateur.  Le bénéfice négatif final et la détérioration de l’ensemble des relations entre tous les acteurs sont faciles à imaginer. 

Il est aussi possible de concevoir qu’il ne peut être mis en œuvre par l’initiateur qu’au sein des relations qui s’y prêtent par un manque de communication efficace.  Cette caractéristique permet aux mêmes personnes ou aux mêmes ensembles de jouer les mêmes jeux ou types de jeux de façon préférentielle.

En Système Complexe

Traditionnellement, la notion de jeu en Analyse Transactionnelle a toujours concerné les relations interpersonnelles.  Tous les exemples cités par Eric Berne sont tirés de la vie familiale et professionnelle mais ne concernent que les relations entre individus.  Cela semble tout à fait normal puisque dans son contexte historique l’A.T. n’était appliqué surtout dans un contexte psychologique.   Aujourd’hui, l’apport de la théorie des jeux peut toutefois apporter un éclairage exceptionnel lorsqu’il est appliqué à la relation entre entités beaucoup plus large comme par exemple entre services, entre départements voire entre organisations.

Prenons pour illustration une relation fragile entre deux chefs de départements par exemple dans une organisation, entre le chef du Marketing et le patron des Ventes.  Dans un tel contexte, il est extrêmement tentant pour les collaborateurs de chacun de ces responsables de tout faire pour alimenter le manque de relation ou de communication entre leurs responsables.

De part et d’autre, les employés de chaque département peuvent oeuvrer à trouver et formuler des critiques sur la collaboration avec les salariés du département voisin.  De part et d’autre, ils peuvent quotidiennement alimenter leurs responsables d'exemples de ces nombreuses difficultés de collaboration.  Pilotés par leurs salariés, chacun des responsables devient convaincu de l’incompétence du département voisin.  Dans le temps, la relation entre les deux patrons se détériore.

La situation est paradoxale : Les collaborateurs prétendent ne pas pouvoir travailler avec leurs voisins incompétents et pourtant ils s’entendent avec eux, bien entendu de façon inconsciente, pour appliquer la même stratégie avec leurs chefs.  Les deux départements fonctionnent en effet, de façon rigoureusement identique.  Le jeu est piloté par la base.  Le conflit apparent repose sur leur collaboration stratégique relativement performante.

Le bénéfice immédiat pour les collaborateurs des deux départements est évident.  Si leurs chefs sont occupés à se battre l’un contre l’autre, fondamentalement convaincus que le problème réside au sein du département voisin voire dans son management, ils seront beaucoup moins exigeants envers leurs propres troupes.  Par conséquent, de chaque côté, les salariés ont mis en œuvre un jeu qui leur permet d’occuper leurs chefs avec une relation externe négative afin de subir beaucoup moins de pression en interne.

A terme, le bénéfice final sera beaucoup moins glorieux.  En effet comme avec tous les jeux de manipulation, le résultat sera négatif. dans le temps  Les relations interdépartementales s’enveniment.  Les résultats mesurables des deux ensembles sinon de l’entreprise se détériorent.  Tout le monde finit par perdre.

Lorsqu’un tel jeu est mis en œuvre au sein d’un système, il est courant de constater qu’il se déploie aussi au sein de son environnement de façon presque virale.  Si par exemple dans le cas illustré ci-dessus, un fournisseur ou un client externe s’adresse à l’un des départements pour obtenir un service ou pour résoudre un problème, le même jeu peut se mettre en œuvre.  Par habitude transactionnelle, l’interlocuteur interne impliquera l’incompétence du département voisin pour ne pas donner satisfaction au demandeur externe.  Peu à peu cet acteur externe apprendra aussi à se servir de la faille entre les départements pour justifier ses propres difficultés à collaborer avec l’entreprise.  Et tous les acteurs environnants participent peu à peu au processus jusqu’à obtenir leurs bénéfices négatifs. 

Le Processus Positif

Paradoxalement, il est à souligner que l’initiateur du jeu de Battez-vous joue aussi un rôle qui peut être perçu comme foncièrement utile sinon positif.  En créant de la relation entre deux autres personnes qui communiquent peu ou mal, il provoque aussi leur éventuelle possibilité de rapprochement. 

En effet, si dans le premier exemple plus haut, les deux parents dépassent leur conflit pour résoudre ensemble le problème présenté par leur fils, ils vont bien devoir commencer à s’entendre.  Par conséquent, il est possible d’envisager que le fils met inconsciemment en scène un Battez-Vous afin de provoquer ses parents et les obliger à mieux collaborer, même si cette éventualité se fera contre lui. 

De même pour mieux encadrer leur client commun, un service de vente et celui de distribution devront tôt ou tard commencer à communiquer ensemble de façon plus efficace.  Au niveau collectif entre départements, le jeu peut aussi être perçu comme une stratégie mise en œuvre par la base afin d’obliger les hiérarchiques à mieux collaborer ensemble.

Il est donc possible d’imaginer que même s’il tire des bénéfices personnels immédiats en semant la zizanie à court terme, l’initiateur du jeu de Battez-vous veut aussi inconsciemment provoquer le rapprochement entre les deux autres acteurs qu’il œuvre à mettre dos-à-dos.  A supposer que ces deux partenaires aient un peu de maturité, ils devraient rapidement réaliser l’avantage qu’ils ont à mieux s’entendre afin d’encadrer le semeur de zizanie.

Dans d’autres situations relationnelles il est aussi possible d’observer que ce but positif de rapprochement de deux autres acteurs est central voire qu’il est socialement affiché par l’initiateur.  La stratégie peut presque devenir la raison d’être de l’initiateur.  Il s’agit là du même processus que celui du jeu Battez-vous, mais dans une dynamique positive.

  • EXEMPLES : Imaginons un intermédiaire, un négociateur, un conciliateur, un entremetteur ou encore un ambassadeur.  Que fait-il d’autre que d’œuvrer à rapprocher deux autres personnes ou ensembles, et ceci quelquefois malgré eux ?  

Les métiers énumérés ci-dessus consistent en effet à présenter auprès d’un interlocuteur individuel ou collectif toutes les qualités d’un tiers absent, afin d’aider ces deux protagonistes à s’entendre voire à collaborer dans le cadre d’une relation durable. 

De toute évidence, la stratégie de semeur de zizanie ou de Battez-vous présente exactement le même processus relationnel que celui de l’intermédiaire ou de l’entremetteur qui initie ce qui serait un « Aimez-Vous ».  Tout semble confirmer que Battez-Vous et Aimez-Vous sont les deux faces du même processus, comme les deux faces de la même pièce proverbiale.  Comme lorsque que l’on joue à pile ou face, selon le côté qui apparaît lors de ce processus d’entre-deux, tout le monde gagne ou tout le monde perd.

Le jeu positif d’Aimez-Vous est tellement utile et courant qu’il peut être considéré comme le composant essentiel de la stratégie opérationnelle d’un grand nombre de professions.  En effet, beaucoup de professionnels savent bien manœuvrer et jouer de leur influence et capacité de conviction afin de créer des relation durables entre une entreprise et ses clients pour un commercial, entre des langues ou cultures étrangères pour un traducteur ou un interprète, entre des hommes et des femmes pour des conseillers conjugaux entre des pays pour des ambassadeurs, entre des partenaires sociaux pour des négociateurs, entre des belligérants pour des émissaires, etc. 

La liste de ces joueurs positifs et professionnels est bien longue.  Il s’agit là d’une véritable stratégie de toute une catégorie de professionnels oeuvrant dans une dynamique de gagnants.

Typiquement, de la même façon que l’acteur central dans Battez-vous, l’intermédiaire actif dans Aimez-Vous présente à un partenaire présent les qualités essentielles du tiers absent, ses propos avenants, sa volonté positive, son intérêt affiché pour une relation profonde et durable, etc.  L’intermédiaire habille, embellit, en rajoute, fait tout pour que la relation entre les deux autres se développe dans un sens positif. 

Pour l’intermédiaire d'Aimez-Vous, le bénéfice positif de cette stratégies apparaît lorsque la relation durable s’installe entre les deux partenaires : la vente a lieu et le client devient fidèle, les deux pays coopèrent et deviennent des alliés, le couple s’unit et s’épanouit, la guerre se transforme en paix et stabilité.  Notez aussi que le bénéfice positif final d’Aimez-vous concerne de façon équivalente tous les partenaires du jeu.

Le Revers de la Médaille

Si les processus en œuvre au sein de Battez-vous et Aimez-vous sont pratiquement identiques, les deux stratégies peuvent aussi être menées de façon soit consciente soit inconsciente.  Les deux sont menés par des initiateurs entre des partenaires et au sein de contextes qui présentent des failles de communication.  Ainsi les deux stratégies sont mises en oeuvre de façon répétitive, et souvent leurs résultats sont prévisibles. 

Seuls les bénéfices finaux des deux processus presque jumeaux diffèrent du tout au tout.  En effet, si suite à un Battez-vous, nous pouvons nous attendre à bénéficier d’un résultat négatif pour l’ensemble des acteurs concernés, la stratégie d’Aimez-vous dirige plutôt le dénouement vers un résultat positif généralisé.

Si ces deux jeux sont tellement ressemblants, si ces deux facettes d’un même processus sont tellement proches, elles permettent souvent aux protagonistes un passage très facile de l’une à l’autre.   En effet, nous l’avons évoqué plus haut, l’objectif inconscient d’un initiateur de « Battez-vous » pourrait être de paradoxalement provoquer un sursaut chez les sujets qu’il divise afin de leur permettre de se rapprocher ensemble et contre lui. 

De la même façon, à force de vouloir rapprocher des gens malgré eux, le joueur d’ Aimez-Vous peut aussi provoquer le contraire, comme s’il avait inconsciemment choisi de semer la zizanie.  Dans bon nombre de situations marqués par ce processus d’ « entre-deux », il est difficile de discerner avec justesse si l’on a affaire au processus positif que représente Aimez-Vous ou à son compagnon indisociable.  Ce n’est qu’à terme, à la fin du jeu, que l’on est à même de mesurer les résultats d’un bénéfice plus ou moins durable, positif ou négatif.

Il est possible d’envisager que si ces deux stratégies apparemment différentes par leur bénéfice final sont tellement proches dans leur architecture et dans leur déroulement, c’est que les protagonistes sont souvent les mêmes.  Ce sont en effet les mêmes acteurs au sein des mêmes contextes qui sont les plus aptes à mettre en œuvre ces mêmes stratégies « d’intermédiaires ».  En effet, les mêmes acteurs au sein des mêmes contextes oeuvrent quelquefois à aider les mêmes relations à se construire, quelquefois à se défaire. 

Considérez par exemple la quantité d’alliances et autres traités diplomatiques qui par nature oeuvrent à rapprocher des partenaires surtout pour les éloigner d’autres prétendants.  Bon nombre de ces relations provoquées sont créées surtout pour éloigner ou défaire d’autres partenariats plus naturels ou préexistants.  Dans certains cas, la présence d’un Aimez-Vous implique presque automatiquement la mise en œuvre d’un Battez-Vous périphérique.  Dans la complexité des constellations relationnelles, tout rapprochement entre partenaires peut en effet simultanément provoquer des éloignements avec d’autres prétendants.

Stratégie de Développement

L’observation de divers processus qui ont lieu au sein de la relation de coaching, c’est à dire entre le client et le coach peut fournir à ce dernier de nombreux indicateurs sur le type de processus interactifs usuels, à la fois positifs et négatifs, du client.  Un client peut par exemple tenter de semer la zizanie en rapportant à son coach des propos ou des comportements d’un autre coach qui seraient négatifs à l’égard du premier.  Ces propos négatifs concernant un absent qui ne peut se défendre présentent au coach du client un indicateur important indiquant la possibilité d’une dynamique de jeu. 

De même pour les processus relationnels rapportés par le client et concernant les liens qu’il entretient au sein de ses constellations personnelles et professionnelles.  Le même client peut aussi évoquer à un autre moment ses difficultés de relations entre deux hiérarchiques, par exemple au sein d’une structure matricielle.

Face à ces deux types de comportements présentés par un même client, le coach peut se poser plusieurs questions :

  • Comment ce client met-il en œuvre de façon naturelle et inconsciente ces jeux et autres stratégies de manipulation et d’échec ?   dans le cas présent, il s’agirait de Battez-Vous.
  • Quelles sont les stratégies analogues de réussite que ce client sait aussi mettre en œuvre quotidiennement ? Dans le cas présent, il s’agirait d’Aimez-Vous.
  • Comment accompagner le client pour l’aider à passer de la face négative du processus « d’entre deux » à sa variante plus positive ou constructive ? 

Si en apparence ces questions concernent des processus très différents, leurs réponses pour un même client concernent souvent des stratégies ou des processus extraordinairement similaires.  Le coach peut facilement supposer que si son client est compétent pour mettre en œuvre la variante négative d’un processus, il est tout aussi compétent pour mettre en œuvre sa variante constructive.

De toute évidence, il est utile de cerner les liens énergétiques entre les deux processus de stratégies d’intermédiaires apparentés à « Battez-Vous » et « Aimez-Vous » lorsqu’ils apparaissent chez les mêmes personnes.

  • Qu’est-ce qui fait basculer un client d’une dynamique positive à l’équivalent négatif et inversement ? 
  • En quoi les habitudes de jeux manifestés par un client proposent des stratégies identiques de réussite ? 
  • Comment aider un client à devenir plus conscient de ses processus positifs et négatifs, afin de mieux mettre en œuvre et gérer les premiers pour son plus grand bénéfice et celui de son entourage ?

Ces questions illustrent une façon dont les coachs pourraient utiliser la théorie de Jeux d’Analyse Transactionnelle pour développer des stratégies d’intervention à la fois très pratiques et utiles pour leur clientèle.  A partir de leurs jeux de manipulation, un partage de perceptions et un certain nombre de questions pertinentes pourraient faciliter le passage des clients vers des processus beaucoup plus constructifs.

En relation avec la démonstration proposée ci-dessus, les coachs pourraient se poser les questions suivantes :

  • Est-ce que tous les jeux décrits par Berne et connus en Analyse Transactionnelle ont leur pendant positif qui définissent des stratégies de gagnants ?
  • Pouvons-nous faire un inventaire de ces stratégies équivalentes de gagnants et déterminer des outils de coaching qui faciliteraient le passage d’une dynamique de jeu vers une dynamique de réussite ?
  • Au delà d’une étude de jeux spécifiques et de leur équivalents positifs, est-il possible de définir des formules de jeux positifs à partir de la formule K de Karpman, la formule J de Berne, le Triangle dramatique ?

Laissons un instant ces questions en suspens afin d’étudier de plus près le deuxième jeu triangulaire évoqué en introduction, qui présente lui aussi des facettes positives sinon franchement résolutoires.

Tribunal

Il existe un autre jeu dont la structure triangulaire est très proche de Battez-vous.  Il affiche une même complexité apparente offerte par trois acteurs en interaction.  Appelé Tribunal, il semble souvent être mis en œuvre au sein des mêmes environnements personnels et professionnels que Battez-Vous.

Pour mettre en oeuvre le jeu de Tribunal, deux partenaires en désaccord voire en conflit cherchent, trouvent ou provoquent un troisième acteur afin de l’aspirer au sein de leur relation difficile.  Cette stratégie est mise en œuvre en demandant à cette tierce personne de jouer le rôle de juge ou d’arbitre afin de statuer sur lequel des deux protagonistes initiaux a tord ou a raison au sein de leur relation compétitive.

Paradoxalement, si le juge ou l’arbitre intervient comme convenu en donnant raison à une des parties au bénéfice de l’autre, cette dernière initie presque invariablement une suite au jeu.  Il peut par exemple affirmer que le jugement était biaisé ou injuste ou régler le compte du gagnant sur un autre sujet afin de rétablir l’équilibre relationnel.  Le jeu peut alors continuer avec de nombreuses suites, soit en aspirant inlassablement le même juge soit en s’adressant à d’autres témoins et arbitres peu méfiants.

Typiquement dans un contexte familial, imaginez la situation suivante : Deux enfants turbulents et visiblement à bout de patience l’un envers l’autre apportent leur conflit à leur père.
_ « Papa, il exagère ! Il a fait X, Y, Z »
_ « C’est pas vrai, c’est lui qui a commencé, en faisant A, B, C. »

Ce cas classique provoque l’intervention d’un parent afin qu’il tanche en donnant tord ou raison à l’un ou l’autre des protagonistes.  Dans cette situation, la vraie question sous-jacente ou inconsciente posée au parent par les enfants pourrait être « qui tu préfères ? » ou « qui de nous deux est le moins aimé ? ».  Bien entendu, quelque soit la réponse à ce choix cornélien, celle-ci n’est jamais acceptable.  Cela permet au même jeu de reprendre  ou continuer par réédition lors d’épisodes successifs.

En entreprise, ce jeu est souvent mis en œuvre lorsque deux collaborateurs qui ne s’entendent pas ou peu créent les conditions nécessaires pour obliger leur supérieur hiérarchique à intervenir au sein de leur conflit.  Typiquement, chacun de son côté explique son point de vue au hiérarchique afin de l’influencer dans un sens qui lui est favorable.  Bien entendu, quel que soit le choix du supérieur, l’épisode suivant confirmera que le jeu n’est pas terminé.

A l’observation des schémas décrits ci-dessus, il est tout de suite apparent que l’architecture de Tribunal présente une forme inversée de celle de Battez-Vous.  A la place des deux figures parentales face à un enfant, il n’y a qu’un seul supérieur, et deux subordonnés.  A la différence de Battez-Vous toutefois, Tribunal est initié par la paire de partenaires en conflit.  C’est l’acteur solitaire, le juge ou l’arbitre, qui est sollicité de façon soit simultanée soit consécutive par les deux autres participants. 

Les motivations pour jouer à Tribunal sont multiples et peuvent souvent être paradoxales.  Puisque le jeu aspire une figure parentale au sein de la relation entre subordonnés, il est possible d’imaginer que le conflit sert à impliquer un parent au sien d’une situation collective perçue comme un abandon.  Il est même possible de supposer que les deux protagonistes en conflit répétés sont inconsciemment en accord :  en effet, s’ils se battent, ils obtiennent l’attention du parent.  C’est mieux que rien.  A un degré plus profond, ce jeu peut être perçu comme une stratégie de formation pour parents, mis en œuvre par des enfants.  Tant que le parents n’ont pas appris à mettre en œuvre une présence juste et ferme, les enfant collaborent en leur offrant un lieu d’apprentissage.

  • ATTENTION :  Le jeu de Tribunal peut aussi être mis en œuvre par deux hiérarchiques qui chacun cherchent à obtenir les faveurs d’un subordonné.  Considérez deux parent en cours de séparation qui se battent, chacun cherchant à obtenir la préférence de leur enfant unique. 

De toute évidence, il existe plusieurs accords implicites entre les protagonistes qui initient Tribunal.   Ils sont d’accord pour être en conflit, et ceci de façon répétée.  Ils sont d’accord pour mettre en œuvre des moyens pour impliquer une tierce personne.  Enfin, ils sont d’accord pour rendre inutiles ou inopérants les résultats de l’intervention de cette tierce personne.  Même si ceux-ci sont inconscients, cela fait beaucoup d’accords.  Cela tente à prouver que c’est l’arbitre qui finit par devenir le dindon de la farce.  Par conséquent, le but ultime du jeu de Tribunal pourrait être de réussir à user ou disqualifier l’arbitre, le parent ou le hiérarchique.

Une Stratégie en Provoque une Autre

Nous avons évoqué que de grands ensembles mettent en œuvre des jeux collectifs au point d’arriver à les inscrire au sein de la culture du système auquel ils appartiennent.  Non cela est vrai pour des jeux, mais aussi pour des ensembles de jeux complémentaires.

Revenons au cas des départements de Marketing et de Vente dont le jeu de Battez-vous est piloté de façon sournoise par les collaborateurs de chacun des responsables des services.  En alimentant le conflit entre leurs chefs de départements, les salariés de chacun des services arrivent à envenimer la situation jusqu’à rendre le conflit insupportable pour chacun des responsables sinon pour leur environnement.

Il y a fort à parier que les deux hiérarchiques mettent en œuvre avec leur directeur général commun une forme de Tribunal pour qu’il prenne le rôle de l’arbitre et les départagent.  Bien entendu aucune solution ne peut être viable à long terme puisque le jeu est piloté par la base.  Le résultat réel de tribunal ne consistera qu’à aspirer le patron vers le bas, qu’à lui faire perdre de la hauteur.

Stratégies Résolutoires

Il est à noter que pour ne pas se laisser piéger par les protagonistes de Tribunal, une des stratégies d’arbitrage consiste certes à donner tord ou à donner raison, mais aux deux partenaires à la fois et sans les différencier. 

  • S’il y a pénalités, elles peuvent être également partagées entre les deux sujets en conflit.
  • S’il y réprimandes ou félicitations, elles peuvent être également distribuées entre les acteurs du même niveau.

Cette stratégie d’arbitre qui ne choisi pas, ou de juge qui ne tranche pas est relativement paradoxale.  Par une égalité de traitement, elle souligne le caractère paritaire et systémique de la relation entre les protagonistes.  Elle accentue la coalition sous-jacente ou inconsciente qui transforme les auteurs d’un conflit en partenaires.

Dans le cas de contrats triangulaires ou de situations de coaching de couples, de partenaires ou de collectifs, cette position de neutralité relative entre les protagonistes peut correspondre au positionnement du coach.  Il est intéressant aussi de souligner que dans ces cas de coaching collectifs comme dans un jeu de Tribunal, ce sont les partenaires qui initient la relation et qui sollicitent le coach.  Le piège du coach, s’il n’a pas une approche systémique serait de privilégier un ou l’autre des protagonistes et ainsi déséquilibrer leur co-responsabilité.

D’un certain point de vue, il est possible que le but du jeu de Tribunal soit tout simplement de révéler des différences de compétences ou hiérarchiques entre des niveaux systémiques.  De façon relativement simple, les enfants s’arrangent pour dire qu’ils ont besoin de parents capables de jouer leur rôle de façon juste, impartiale et régulière.  Deux partenaires professionnels en conflit attirent peut-être l’intervention d’un hiérarchique pour les mêmes raisons.  Lorsque deux partenaires en conflit admettent qu’ils sont arrivés à une limite dans leurs capacités interactives, ils peuvent faire appel aux compétences d’un coach.  Par conséquent, même joué de façon inconsciente, Tribunal peut être perçu comme une stratégie relativement saine lorsqu’elle est mise en œuvre par deux personnes qui cherchent à sortir d’une situation stérile ou conflictuelle. 

De fait, les protagonistes qui initient le jeu de Tribunal sont d’accord sur le constat qu’ils sont en conflit, qu’ils n’arrivent pas à en sortir, et qu’ils ont besoin du recours d’une tierce personne pour les accompagner.  Considérant ces accords, l’essentiel du travail de réconciliation peut être paradoxalement considéré comme déjà bien amorcé.  Dans des contextes personnels et professionnels la recherche d’un juge ou d’un arbitre concerne de nombreux couples et partenaires individuels et collectifs qui finissent par chercher une aide extérieure.

Par conséquent, lorsque deux personnes, deux groupes ou deux organisations en conflit mettent en œuvre un processus de recherche de moyens pour sortir de leur différent, il n’y a pas obligatoirement jeu de Tribunal, bien au contraire.  Il s’agirait plutôt de son équivalent positif, que l’on appellera ici « Médiation ».  De toute évidence, ce qui peut apparaître comme un jeu est aussi souvent centré sur la recherche de solutions constructives.  Ce processus relativement sain correspond à la recherche d’un conseiller, d’un conciliateur ou encore d’un médiateur qui pourrait jouer le même type de fonction que l’initiateur dans «Aimez-Vous » abordé plus haut.  A la différence près que ce processus est initié par les deux protagonistes dans la relation difficile plutôt que par l’intermédiaire moins concerné.

Dans Médiation, les deux partenaires sont conscients de leur co-responsabilité au sein de leur relation insatisfaisante et ils sont motivés par la recherche de solutions pour la transformer.  A la différence de Tribunal, ils ne cherchent pas à obtenir une validation sélective de leurs différences en compétition, mais plutôt une solution commune qui leur permettrait de construire leur relation sur des bases plus positives.  Les initiateurs assument la co-responsabilité de leur différent.

Notez que comme pour Battez-vous et Aimez-vous, Tribunal et Médiation sont deux processus pratiquement identiques dans leur architecture comme dans leur déroulement.  Les deux partenaires sont d’accord sur leur désaccord.  Ils sont d’accord pour continuer à entretenir leur relation.  Ils sont d’accord pour chercher une tierce personne pour les aider à trianguler leur relation polarisée.  La seule différence mesurable entre les deux processus concerne le bénéfice final :

  • Soit il est négatif pour les jeux de Battez-vous et Tribunal, ce qui permet à la relation de continuer avec des séquences ultérieures prévisibles et répétitives. Cela permet à la relation de continuer, mais dans une spirale stérile.
  • Soit il est positif pour Aimez-vous et Médiation.  L’aboutissement est une transformation de la relation qui peut alors se développer sur des bases plus positives et constructives.  Dans le temps, le médiateur qui joue un rôle perçu comme juste et équitable peut même perdre son utilité.

Au sein de nombreuses situations de coaching, le client individuel ou collectif propose au coach d’assumer soit le rôle du médiateur soit celui de l’arbitre.  De nombreux contrats triangulaires à la base de coachings prescrits offrent au coach une place de choix correspondant à ce rôle d’entre deux, soit de médiateur soit d’arbitre.  Dans la réalité, la frontière entre les deux est souvent très fine.  Un processus d’accompagnement positif vécu comme une Médiation constructive peut subitement se transformer aux yeux d’un ou plusieurs acteurs pour être perçu comme un jeu de Tribunal.

Par conséquent, il est utile pour un coach de bien connaître les similitudes entre ces deux processus pratiquement identiques.  De nombreuses situations de coaching nécessitent un simple et petit coup de pouce pour transformer une demande posée dans un cadre de référence proche de Tribunal en accompagnement beaucoup plus positif, dans un contexte de Médiation.  Les deux processus sont si proches que le passage de l’un à l’autre se fait presque naturellement.  Mais attention, ceci est vrai dans les deux sens.

Pour consulter un autre article sur les Jeux Triangulaires.
Copyright Métasystème Sarl.  2009